Nous venons de montrer ce qu’on pourrait appeler le perfectionnement des passions politiques en surface, sous des modes plus ou moins extérieurs. Elles se sont singulièrement perfectionnées aussi en profondeur, en force interne.
Et d’abord, elles ont singulièrement progressé dans la conscience d’elles-mêmes. Il est évident qu’aujourd’hui (grandement encore par l’effet du journal) l’âme affectée d’une haine politique prend conscience de sa propre passion, se la formule, se la représente avec une netteté qu’elle ne connaissait pas il y a cinquante ans et dont il n’est pas besoin de dire combien elle l’en avive. Je voudrais à ce propos marquer deux passions que notre temps a vu naître, non certes à l’existence, mais à la conscience, à l’aveu, à la fierté d’elles-mêmes.
La première est ce que j’appellerai un certain nationalisme juif. Alors que jusqu’ici les juifs, accusés en de nombreux pays de constituer une race inférieure ou tout au moins particulière et inassimilable, répondaient en niant cette particularité, en s’efforçant d’en effacer les apparences, en refusant d’admettre la réalité des races, on voit certains d’entre eux, depuis quelques années, s’appliquer à proclamer cette particularité, à en préciser les traits ou ce qu’ils croient tels, à s’en glorifier, à flétrir toute volonté de fusion avec leurs adversaires (voir l’œuvre d’Israël Zangwill, d’André Spire, la Revue Juive). Il ne s’agit pas ici de chercher si le mouvement de ces juifs n’est pas plus noble que l’application de tant d’autres à se faire pardonner leur origine ; il s’agit de faire observer à celui qu’intéresse le progrès de la paix dans le monde qu’aux orgueils qui dressent les hommes les uns contre les autres notre âge en aura ajouté un de plus, du moins en tant que conscient et fier de soi.
L’autre mouvement que j’ai en vue est le bourgeoisisme, j’entends la passion de la classe bourgeoise à s’affirmer contre celle qui la menace. On peut dire que jusqu’à nos jours la « haine des classes », en tant que haine consciente et fière d’elle-même, c’était surtout la haine de l’ouvrier contre le monde bourgeois ; la haine réciproque s’avouait bien moins nettement ; honteuse d’un égoïsme qu’elle croyait spécial à sa caste, la bourgeoisie biaisait avec cet égoïsme, en convenait mal, même avec soi, voulait qu’on le prît, le prendre elle-même, pour une forme indirecte du souci du bien de tous ; au dogme de la lutte des classes elle répondait en contestant qu’il y eût vraiment des classes, montrant que, si elle sentait son opposition irréductible à son adversaire, elle ne voulait pas convenir qu’elle la sentait. Aujourd’hui, il suffit de songer au « fascisme » italien, à certain Eloge du bourgeois français, à tant d’autres manifestations de même sens, pour voir que la bourgeoisie prend pleine conscience de ses égoïsmes spécifiques, qu’elle les proclame en tant que tels, les vénère en tant que tels et comme liés aux suprêmes intérêts de l’espèce, qu’elle se fait gloire de les vénérer et de les dresser contre les égoïsmes qui veulent sa destruction. Notre temps aura vu se créer la mystique de la passion bourgeoise, dans son opposition aux passions de l’autre classe. Là encore, notre âge apporte au bilan moral de l’espèce humaine l’avènement d’une passion de plus à la pleine possession d’elle-même.
Le progrès des passions politiques en profondeur depuis un siècle me semble singulièrement remarquable pour les passions nationales.
D’abord, du fait qu’elles sont éprouvées aujourd’hui par des masses, ces passions sont devenues bien plus purement passionnelles. Alors que le sentiment national, lorsqu’il n’était guère exercé que par des rois ou leurs ministres, consistait surtout dans l’attachement à unintérêt (convoitise de territoires, recherche d’avantages commerciaux, d’alliances profitables), on peut dire qu’aujourd’hui, éprouvé (du moins continûment) par des âmes populaires, il consiste, pour sa plus grande part, dans l’exercice d’un orgueil. Tout le monde conviendra que la passion nationale, chez le citoyen moderne, est bien moins faite de l’embrassement des intérêts de sa nation — intérêts qu’il discerne mal, dont la perception exige une information qu’il n’a pas, qu’il n’essaye pas d’avoir (on sait son indifférence aux questions de politique extérieure) — qu’elle n’est faite de la fierté qu’il a d’elle, de sa volonté de se sentir en elle, de réagir aux honneurs et aux injures qu’il croit lui être faits. Sans doute il veut que sa nation acquière des territoires, qu’elle soit prospère, qu’elle ait de puissants alliés ; mais il le veut bien moins pour les fruits matériels qu’elle en recueillera (que sent-il personnellement de ces fruits ?) que pour la gloire qu’elle en tirera. Le sentiment national, en devenant populaire, est devenu surtout l’orgueil national, la susceptibilité nationale. Combien il est devenu par là plus purement passionnel, plus parfaitement irrationnel et donc plus fort, il suffit pour le mesurer de songer au chauvinisme, forme du patriotisme proprement inventée par les démocraties. Que d’ailleurs, et contrairement à l’opinion commune, l’orgueil soit une passion plus forte que l’intérêt, on s’en convainc si l’on observe combien les hommes se font couramment tuer pour une blessure à leur orgueil, peu pour une atteinte à leurs intérêts.
Cette susceptibilité dont se revêt le sentiment national en devenant populaire est une chose qui rend la possibilité des guerres bien plus grande aujourd’hui qu’autrefois. Il est clair qu’avec les peuples et l’aptitude de ces nouveaux « souverains » à bondir sous l’outrage dès qu’ils croient le ressentir, la paix court un surcroît de danger qu’elle ne connaissait pas quand elle ne dépendait que des rois et de leurs ministres, gens bien plus purement pratiques, fort maîtres d’eux, et assez disposés à supporter l’injure s’ils ne se sentent pas les plus forts. Et de fait, on ne compte plus combien de fois, depuis cent ans, la guerre a failli embraser le monde uniquement parce qu’un peuple s’est cru atteint dans son honneur. Ajoutons que cette susceptibilité nationale offre aux chefs des nations soit qu’ils l’exploitent chez eux ou chez leur voisin, un moyen nouveau et fort sûr de déclencher les guerres dont ils ont besoin ; c’est ce qu’ils n’ont pas manqué de comprendre, comme le prouve amplement l’exemple de Bismarck et des moyens dont il obtint ses guerres contre l’Autriche et contre la France. De ces points de vue il me semble assez juste de dire, avec les monarchistes français, que « la démocratie c’est la guerre », à condition qu’on entende par démocratie l’avènement des masses à la susceptibilité nationale et qu’on reconnaisse qu’aucun changement de régime n’enrayera ce phénomène.
Un autre approfondissement considérable des passions nationales est que les peuples entendent aujourd’hui se sentir, non seulement dans leur être matériel, force militaire, possessions territoriales, richesse économique, mais dans leur être moral. Avec une conscience qu’on n’avait jamais vue (qu’attisent fortement les gens de lettres) chaque peuple maintenant s’étreint lui-même et se pose contre les autres dans sa langue, dans son art, dans sa littérature, dans sa philosophie, dans sa civilisation, dans sa « culture ». Le patriotisme est aujourd’hui l’affirmation d’une forme d’âme contre d’autres formes d’âme. On sait ce que cette passion gagne ainsi en force interne et si les guerres auxquelles elle préside sont plus âpres que celles que se faisaient les rois, simplement désireux d’un même morceau de terrain. La prophétie du vieux barde saxon se réalise pleinement : « Les patries seront alors véritablement ce qu’elles ne sont pas encore : des personnes. Elles éprouveront de la haine ; et ces haines causeront des guerres plus terribles que toutes celles qui ont été vues jusqu’ici. »
On ne saurait dire assez combien cette forme du patriotisme est nouvelle dans l’histoire. Elle est évidemment liée, elle aussi, à l’adoption de cette passion par des masses populaires et semble avoir été inaugurée, en 1813, par l’Allemagne, laquelle aura été apparemment le vrai instituteur de l’humanité en fait de patriotisme démocratique, si l’on entend sous ce mot la volonté d’un peuple de se poser contre les autres au nom de ses caractères les plus fondamentaux. (La France de la Révolution et de l’Empire n’a jamais songé à se dresser contre les autres peuples au nom de sa langue ou de sa littérature.) Ce mode de patriotisme aura été si peu connu des âges précédents qu’on n’y compte plus les cas de nations admettant dans leur sein la culture d’autres nations, voire avec lesquelles elles furent en guerre, et même la révérant. Rappellerai-je la religion de Rome pour le génie de la Grèce qu’elle avait cru devoir abattre politiquement ? celle des Ataulf, des Théodoric, vainqueurs de Rome, pour le génie romain ? plus près de nous, Louis XIV annexant l’Alsace et ne songeant pas un instant à y interdire la langue allemande ? On voyait même des nations manifester leur sympathie pour la culture de nations avec lesquelles elles étaient en guerre ou leur proposer la leur : le duc d’Albe s’employant à mettre en sûreté les savants des villes de Hollande contre lesquelles il poussait ses légions ; au XVIIIesiècle, les petits États de l’Allemagne, alliés à Frédéric II contre nous, adoptant plus que jamais nos idées, nos modes, nos littératures ; le gouvernement de la Convention, en pleine lutte avec l’Angleterre, envoyant une députation à cette nation pour l’inviter à adopter notre système métrique. La guerre politique impliquant la guerre des cultures, cela est proprement une invention de notre temps et qui lui assure une place insigne dans l’histoire morale de l’humanité.
Un autre renforcement des passions nationales, c’est la volonté qu’ont aujourd’hui les peuples de se sentir dans leur passé, plus précisément de sentir leurs ambitions comme remontant à leurs ancêtres, de vibrer d’aspirations « séculaires », d’attachements à des droits « historiques ». Ce patriotisme romantique est, lui aussi, le propre d’un patriotisme exercé par des âmes populaires (j’appelle ici populaires toutes les âmes gouvernées par l’imagination, c’est-à-dire, au premier chef, les gens du monde et les gens de lettres) ; j’ai idée que lorsque Hugues de Lionne souhaitait pour sa nation l’acquisition de la Flandre ou Sieyès celle des Pays-Bas, ils ne croyaient pas sentir revivre en eux l’âme des anciens Gaulois, pas plus que Bismarck, lorsqu’il convoitait les duchés danois, ne pensait (je ne parle pas de ce qu’il disait) ressusciter le vouloir de l’Ordre teutonique. Quel surcroît de violence cette solennisation de ses désirs apporte à la passion nationale, il suffit pour s’en convaincre de voir ce qu’est devenu ce sentiment chez les Allemands avec leur prétention de continuer l’âme du Saint Empire germanique et chez les Italiens depuis qu’ils posent leurs volontés comme la résurrection de celles de l’Empire romain. — Inutile de dire si, là encore, les chefs d’Etat trouvent dans la sentimentalité populaire un nouvel et bon instrument pour réaliser leurs desseins pratiques et s’ils savent s’en servir : qu’on pense, pour n’en citer qu’un récent exemple, au parti que le gouvernement italien a su tirer de l’étonnante aptitude de ses compatriotes à sentir un beau matin la revendication de Fiume comme une revendication « séculaire ».
D’une manière générale, on peut dire que les passions nationales, du fait qu’elles sont exercées aujourd’hui par des âmes plébéiennes, prennent un caractère de « mysticité », d’adoration religieuse qu’elles connaissaient peu dans l’âme pratique des grands, et dont il n’est pas besoin de dire s’il rend ces passions plus profondes et plus fortes. Là encore, ce mode plébéien du patriotisme est adopté par tous ceux qui pratiquent cette passion, fussent-ils les plus bruyants champions du patriciat de l’esprit ; Charles Maurras parle, comme Victor Hugo, de la « déesse France ». Ajoutons que cette adoration mystique pour la nation ne s’explique pas seulement par la nature des adorateurs, mais par les changements survenus dans l’objet adoré ; outre le spectacle autrement imposant que jadis de leur force militaire et de leur organisation, on conçoit que, lorsqu’on voit les États modernes faire indéfiniment la guerre alors qu’ils n’ont plus d’hommes et subsister de longues années quand ils n’ont plus d’argent, on soit porté à croire, pour peu qu’on ait l’âme religieuse, qu’ils sont d’une autre essence que les êtres naturels.
Je marquerai encore un grand surcroît de puissance advenu, en ce dernier demi-siècle, au sentiment national : je veux parler de plusieurs passions politiques très fortes qui, originairement indépendantes de ce sentiment, sont venues de nos jours s’incorporer à lui. Ces passions sont : 1 ° le mouvement contre les juifs ; 2° le mouvement des classes possédantes contre le prolétariat ; 3° le mouvement des autoritaristes contre les démocrates. On sait que chacune de ces passions s’identifie aujourd’hui avec le sentiment national, dont elle déclare que son adversaire implique la négation. Ajoutons que, presque toujours, l’une de ces trois passions comporte, chez celui qu’elle tient, l’existence des deux autres, si bien qu’en général c’est de l’ensemble des trois que la passion nationale se trouve grossie. Ce grossissement est d’ailleurs réciproque et on peut dire que l’antisémitisme, le capitalisme et l’autoritarisme témoignent aujourd’hui d’une puissance toute nouvelle par leur union avec le nationalisme.
Je ne saurais laisser ce perfectionnement moderne des passions nationales sans en noter encore un trait : dans chaque nation, le nombre des personnes qui sentent un intérêt direct à faire partie d’une nation forte est incomparablement plus élevé de nos jours qu’autrefois. Dans tous les grands États je vois aujourd’hui, non seulement le monde de l’industrie et des hautes affaires, mais un nombre considérable de petits commerçants, de petits bourgeois, et aussi de médecins, d’avocats, voire d’écrivains, d’artistes — aussi des ouvriers — sentir qu’il leur importe, pour la prospérité de leurs entreprises personnelles, d’appartenir à un groupement puissant et redouté. Les personnes à même d’apprécier ces sortes de changement conviennent que ce sentiment était loin d’exister, du moins avec la netteté qu’on lui voit aujourd’hui, dans le petit commerce, en France par exemple, il y a seulement trente ans. Chez les hommes de professions dites libérales, il semble plus nouveau encore ; il est assurément nouveau d’entendre couramment des artistes reprocher à leur gouvernement « de ne pas donner assez de prestige à leur nation pour imposer leur art à l’étranger ». Chez les ouvriers, le sentiment qu’ils ont intérêt, du point de vue professionnel, à faire partie d’une nation forte est aussi très récent ; le parti des « socialistes-nationalistes », dont la France seule semble dépourvue, est un sédiment politique tout moderne. Pour les industriels, ce qui paraît nouveau, ce n’est pas qu’ils sentent combien leur intérêt veut que leur nation soit forte, c’est que ce sentiment se transforme aujourd’hui en action, en pression formelle sur leurs gouvernements. Cette extension du patriotisme à base d’intérêt n’empêche certes pas cette forme du patriotisme d’être, comme nous le disons plus haut, beaucoup moins répandue que la forme à base d’orgueil ; elle n’en apporte pas moins un nouveau surplus de force aux passions nationales.
Enfin je marquerai un dernier perfectionnement considérable que présentent aujourd’hui toutes les passions politiques, qu’elles soient de race, de classe, de parti, de nation. Quand je regarde ces passions dans le passé, je les vois consister en de pures poussées passionnelles, en de naïves explosions de l’instinct, dépourvues, du moins chez le grand nombre, de tout prolongement d’elles-mêmes en des idées, en des systèmes ; les ruées des ouvriers du XVe siècle contre les possédants ne s’accompagnaient, semble-t-il, d’aucun enseignement sur la genèse de la propriété ou la nature du capital, celles des massacreurs de ghettos d’aucune vue sur la valeur philosophique de leur action et il n’apparaît pas que l’assaut des bandes de Charles Quint contre les défenseurs de Mézières s’avivât d’une théorie sur la prédestination de la race germanique et la bassesse morale du monde latin. Aujourd’hui je vois chaque passion politique munie de tout un réseau de doctrines fortement constituées, dont l’unique fonction est de lui représenter, sous tous les points de vue, la suprême valeur de son action, et dans lesquelles elle se projette en décuplant naturellement sa puissance passionnelle. A quel point de perfection notre temps a porté ces systèmes, avec quelle application, quelle ténacité chaque passion a su édifier, dans toutes les directions, des théories propres à la satisfaire, avec quelle précision ces théories ont été ajustées à cette satisfaction, avec quel luxe de recherches, quel travail, quel approfondissement elles ont été poussées dans chaque direction, il suffit pour le marquer de citer le système idéologique du nationalisme allemand dit pangermanisme et celui du monarchisme français. Notre siècle aura été proprement le siècle de l’organisation intellectuelle des haines politiques. Ce sera un de ses grands titres dans l’histoire morale de l’humanité.
Ces systèmes, depuis qu’il en existe, consistent, pour chaque passion, à instituer qu’elle est l’agent du bien dans le monde, que son ennemie est le génie du mal. Toutefois, elle entend aujourd’hui l’instituer, non plus seulement dans l’ordre politique, mais dans l’ordre moral, intellectuel, esthétique : l’antisémitisme, le pangermanisme, le monarchisme français, le socialisme ne sont pas seulement des manifestes politiques ; ils défendent un mode particulier de moralité, d’intelligence, de sensibilité, de littérature, de philosophie, de conception artistique. Ajoutons que notre temps a introduit dans la théorisation des passions politiques deux nouveautés qui ne laissent pas de singulièrement les aviver. La première, c’est qu’aujourd’hui chacune prétend que son mouvement est conforme au « sens de l’évolution », au « développement profond de l’histoire » ; on sait que toutes les passions actuelles, qu’elles soient de Marx, de Maurras ou de H. S. Chamberlain, ont découvert une « loi historique » selon laquelle leur mouvement ne fait que suivre l’esprit de l’histoire et doit nécessairement triompher, cependant que leur adversaire contrevient à cet esprit et ne saurait connaître qu’une victoire illusoire. Ce n’est là, d’ailleurs, que l’antique volonté d’avoir le Destin pour soi, mise toutefois sous forme scientifique. Et ceci nous conduit à la seconde nouveauté : la prétention qu’ont aujourd’hui toutes les idéologies politiques d’être fondées sur la science, d’être le résultat de la « stricte observation des faits ». On sait quelle assurance, quelle raideur, quelle inhumanité, assez nouvelles dans l’histoire des passions politiques, et dont le monarchisme français est un bon exemple, cette prétention donne aujourd’hui à ces passions.
En résumé, les passions politiques présentent aujourd’hui un degré d’universalité, de cohérence, d’homogénéité, de précision, de continuité, de prépondérance par rapport aux autres passions, inconnu jusqu’à ce jour ; elles prennent une conscience d’elles-mêmes qu’on ne leur avait point vue ; certaines d’entre elles, mal avouées jusqu’ici, s’éveillent à cette conscience et s’ajoutent aux anciennes ; d’autres deviennent plus purement passionnelles que jamais, possèdent le cœur de l’homme en des régions morales où elles n’atteignaient pas, prennent un caractère de mysticité qu’on ne leur voyait plus depuis des siècles ; toutes enfin se munissent d’appareils idéologiques par lesquels elles se clament à elles-mêmes, au nom de la science, la suprême valeur de leur action et sa nécessité historique. En surface comme en profondeur, en valeurs spatiales comme en force interne, les passions politiques atteignent aujourd’hui à un point de perfection que l’histoire n’avait pas connu. L’âge actuel est proprement l’âge du politique.